De nombreux ouvrages de Gilbert Keith Chesterton ont été traduits de l'anglais au français.
De façon plutôt surprenante je n'ai pas pu mettre la main sur une traduction française de sa courte mais riche introduction au Livre de Job.
Je m'y suis donc attelé.
Cette introduction est un rappel bienvenu, à notre époque où le politiquement correct a même fait son entrée au Vatican, que l'Homme ne peut jamais se cacher derrière une univocité du sens mais qu'il jouit, au contraire, d'une plus grande liberté - et responsabilité - par le fait même de l'équivocité.
Ce que l'on appelle, en psychanalyse, la signifiance - témoin du Réel.
Il y a quelques semaines j'avais posté un petit texte concernant le Livre de Job en disant que si la Bible devait aujourd'hui être réécrite ce passage serait certainement le premier à être modifié ou supprimé.
Il est vrai que la grande majorité des chrétiens est très mal à l'aise avec le Livre de Job et certains d'entre eux pensent même qu'il s'agit d'un texte qui doit être simplement supprimé, car considéré comme un blasphème païen.
Le livre de Job est en réalité l'un des écrits les plus fondamentaux pour l'éthique chrétienne.
Cette intuition était fondée puisqu'on a appris récemment que le Pape François lui-même, de façon très surprenante à vrai dire, appelle à un changement dans la prière du "Notre Père", puisque celle-ci induirait que Dieu lui-même nous soumettrait à la tentation.
En réalité la question de savoir s'il s'agit d'une bonne ou mauvaise traduction des écritures originales n'est que secondaire.
La question fondamentale est ailleurs.
Car visiblement que Dieu puisse nous pousser à la tentation est inconcevable pour la plupart des chrétiens, ils ne veulent pas y croire.
Mais à lire les écritures, n'est-ce pas Dieu lui-même qui a planté l'arbre de la connaissance au beau milieu du jardin d'Eden ?
Et pour revenir au Livre de Job : n'est-ce pas Dieu lui-même qui a fait un pari avec le Diable et a produit les souffrances abominables de son plus fidèle serviteur ?
Depuis le Livre de Job, nous n'avons plus seulement et simplement affaire à l'écart entre l'homme et Dieu mais à l'écart, la division, l'inconsistance au cœur de Dieu lui-même.
La défense et la conservation de l'héritage chrétien ne peut pas passer par la suppression ou modification des écritures qui font problème, qui créent des tensions puisque c'est dans ces paradoxes mêmes que réside toute son éthique.
La cure analytique n'a peut-être jamais aussi bien porté son nom qu'à notre époque, dont la dégénérescence langagière est d'une férocité inouïe.
Celui qui s'y engage mène un combat de désarticulation d'avec les mots qui le bombardent de toutes parts tous les jours et qui le distraient de son lot de savoir.
La démarche analytique se situe aux antipodes de la promotion culturelle et de la mise en exergue de la sacro-sainte connaissance puisqu'elle vise au resserrement du sujet avec le savoir, qui lui n'arrive jamais à bout de la vérité.
Elle est une tentative subjective d'empester et de rejeter le discours ambiant - signe contemporain du malaise dans la civilisation - par lequel le sujet est tenu.