- Rudy Goubet Bodart
- Mar 31, 2020

Françoise Dolto avait le succès qui lui montait à la tête ?
Dans une tribune parue en Février dans les colonnes de Libération, Élisabeth Roudinesco, l'historienne de la psychanalyse, pensait faire le bien et tracer une ligne claire entre d'un côté, les adorateurs, et de l'autre, les détracteurs de Dolto. Oubliant l'adage tritium non detur celle qui croit écrire l'Histoire de la psychanalyse – car elle pense qu'il y en a une – est en fait bien plus douée pour en faire, des histoires, des historioles.
Sous ce qui se voulait être une défense de Dolto se trouve en fait l'une des attaques les plus pernicieuses contre la psychanalyste et la psychanalyse. Roudinesco n'hésite pas à dire que Dolto tenait des propos insensés, disait n'importe quoi à n'importe qui ; qu'elle confondait le conscient avec l'inconscient, qu'elle prétendait que les femmes battues et les enfants violés désiraient inconsciemment ce qui leur était arrivé ; qu'elle prenait l'enfant pour un adulte ... une folle quoi !
Peut-on seulement faire preuve d'une telle méconnaissance de la psychanalyse quand on s'en auto-proclame l'histoirienne ? Comment comprendre ce qu'Élisabeth Roudinesco dit lorsqu'elle avance que Dolto n'avait pas «la dimension intellectuelle» de Lacan ou encore qu'il faudrait la mettre à sa vraie place (comme elle, Roudinesco, aurait fait avec Lacan), c'est-à -dire celle de la fondatrice de la psychanalyse de l'enfant (en France uniquement), quand nous savons que Lacan lui-même ne tarissait jamais d'éloges à son sujet, et que lorsqu'il sentait que certains analysants, adultes, ne pouvaient plus avancer dans leur analyse avec lui, c'est très souvent vers Françoise Dolto qu'il les dirigeait ? Une historienne de la psychanalyse n'est-elle pas censée savoir cela ?
Ensuite, comment saisir ce que Roudinesco affirme lorsqu'elle dit que Dolto n'a pas le «statut» de Mélanie Klein ou de Woods Winnicott car son œuvre n'est pas connue dans le monde anglosaxon ? Peut-on faire comme si Klein et Winnicott n'étaient pas eux-mêmes anglophones, et qui plus est membres éminents de l'IPA ? De plus, la puissance d'une pensée se mesure-t-elle à l’aune de sa popularité dans le monde anglosaxon ? Apparemment pour Roudinesco, la réponse est oui. Elle ose tout – et c'est à ça qu'on la reconnaît – et avance que Dolto, contrairement à Klein et à Winnicott, n'a pas inventé de concept. Que fait-elle alors, par exemple, de l'Image Inconsciente du Corps, concept dans lequel on retrouve une bonne partie des apports kleiniens et winnicottiens ? Et plus fondamentalement, pourquoi chercher ici à comparer Dolto à Winnicott – qu'elle admirait – ou à Klein – qu'elle considérait davantage comme une théoricienne qu'une praticienne ?
À noter que certains livres de Dolto ont été traduits en anglais, en espagnol, en portugais, en mandarin ... et qu'ici, en Asie du Sud-Est, des psychanalystes d'horizons divers se regroupent pour traduire et travailler à partir de son œuvre et tentent d'en tirer les enseignements qui pourraient s'avérer précieux par les temps qui courent.
Une fois encore, nous constatons que l'ennemi de la psychanalyse est davantage à l'intérieur de son dit champ qu'à l'extérieur. D'ailleurs, les contradicteurs de Dolto n'ont pas hésité longtemps avant de relayer les propos de Roudinesco. Les gens ayant personnellement connu la psychanalyste, et la femme, les ont très mal accueilli, alors que son auteur s'imaginait orgueilleusement ouvrir une troisième voie, celle de la neutralité, ou de l'objectivité historique, mais ne faisait, en vérité, que le jeu des détracteurs.
Bien sûr, Élisabeth Roudinesco n'en est plus à son coup d'essai, et il suffit pour s'en convaincre d'essayer de lire son «Lacan, envers et contre tout» pour que ce dernier nous tombe des mains après quelques pages, ou encore d'aller au bout de cet article en question et y lire que, selon elle, les psychanalystes non-français se débrouillent mieux, que les français, car ils se sont mieux «adaptés à la réalité». Il serait intéressant que Roudinesco nous explique ce qu'est la réalité et comment nous devrions nous y adapter. Au passage, il n'y a rien de plus antinomique à l'enseignement lacanien que ce crédo qui nous pousse à nous adapter à la réalité.
De là où elle s'imagine être, Roudinesco, dicte donc l'Histoire de la psychanalyse, remet les psychanalystes à leur vraie place, et parle de la réalité comme d'un fait observable d'une position neutre et objective, comme n'en faisant pas elle-même toujours déjà partie. Elle oublie de ce fait qu'il n'y a pas d'Histoire mais que de l'hystorisation : le comble pour une historienne, et d'autant plus pour une historienne de la psychanalyse.
- Rudy Goubet Bodart
- Mar 31, 2020

Françoise Dolto, une pensée issue de Mai 68 ?
Nombreux sont ceux qui affirment que la pensée et la pratique clinique de Françoise Dolto ne seraient compréhensibles qu'en référence à Mai 68. Le mode de pensée de l'époque engloberait donc la pratique de Dolto, qui n'en serait alors qu'un des effets. Pour ne pas trop épiloguer sur cette défense, plutôt maladroite, disons simplement que Françoise Dolto a publié une thèse dans les années 30 (bien avant 68) et s'est mise à écrire et publier dans les dix dernières années de sa vie (dix ans après 68), après avoir décidé d'arrêter de pratiquer la psychanalyse. Voilà pour replacer, très rapidement, les événements de façon chronologique.
Cependant, à un niveau plus (idéo)logique ni Françoise Dolto, ni Jacques Lacan, ne partageaient l'enthousiasme général produit par la soi-disant «libération sexuelle», les effets éducatifs (ne pas dire «non» aux enfants, ne rien leur interdire ...) et sociétaux que Mai 68 a pu produire. Ils étaient même plutôt perçus comme des empêcheurs de fêter – et pourquoi pas de baiser – en rond.
A ce titre, les innovations en matière sexuelle expérimentées à cette époque n'ont fait que confirmer l'écart qui existe entre le fantasme et la réalité, et bien que celle-là soit soutenue par celui-ci rappelons nous que Freud disait : « Ce que l'homme convoite dans ses fantasmes, il le fuit lorsque la réalité le lui offre ». La majorité des expériences sexuelles se sont alors soldées par des éprouvés de jalousie, de dégoût, de possessivité à la grande surprise et même stupeur des fameux libérateurs ... autant d'affects décrits alors comme bourgeois. Des millénaires de civilisation ne s'effacent pas avec des soubassements contre-révolutionnaires.
Et concernant les implications de Mai 68 à ce qui s'appelle la pédagogie, la psychanalyse nous enseigne qu'une éducation dite moderne ou permissive n'a rien à envier à une éducation dite traditionnelle ou autoritaire, relativement à la férocité du Surmoi. Son puissant impératif y règne toujours, seulement à l'interdit de jouissance se substitue une obligation.
Sans oublier que Mai 68 a finalement abouti à une prise de position de certains intellectuels (Sartre, de Beauvoir, Foucault, Deleuze ...) en faveur d'une révision des droits relatifs à la sexualité des moins de 21 ans, à laquelle Françoise Dolto n'a pas participé, comme l'a prouvé à de maintes reprises sa fille.
Il serait pourtant curieux de dire que Françoise Dolto et Jacques Lacan n'ont pas été influencés et même produits par la subjectivité de leur époque qui a connu son apogée en Mai 68. Disons simplement, qu'ils n'ont pas seulement été produits par la subjectivité de leur époque mais qu'ils sont su en rejoindre l'horizon. Ils saisissaient avec une grande acuité les enjeux de leur temps et savaient incarner l'axe autour duquel tant de vies trouvaient un repère : ils ont été leur temps. Il est donc faux de cantonner Dolto et sa pensée à cette période, puisque la psychanalyste énonçait des vérités de toute éternité, valables depuis et pour toujours.
- Rudy Goubet Bodart
- Mar 31, 2020

Dans la vie d'avant le virus circulait en France une attaque des plus odieuses envers la plus célèbre psychanalyste du pays.
Françoise Dolto aurait soutenu la pédophilie ...
Que les esprits soient aujourd’hui tous captivés par l’actualité virale ne doit pas, pour nous, constituer un obstacle ni même une distraction quant au travail, mais au contraire, cela doit être une opportunité de prendre le temps de penser et d’écrire au sujet de ce qu’il convient d’appeler « l’affaire Dolto ».
L’occasion est belle d'en tirer les premiers enseignements pour la psychanalyse, mais pas uniquement.
De quoi la cabale visant Dolto est-elle le nom ?
Vraisemblablement à l’affût du « buzz », comme le disent les journalistes, les détracteurs de Dolto ont attendu que les actualités s’y prêtent pour rendre public des propos, très soigneusement sélectionnés, qu’ils estiment scandaleux et ainsi exiger le retrait du nom de la psychanalyste de certaines écoles françaises. Elle aurait certainement été la première à se réjouir de ce retrait.
A défaut d’être lecteurs ces détracteurs sont à la pointe de la communication – ceci expliquant certainement cela – et il me faut être honnête et souligner qu’ils s’y prennent vraiment très bien pour faire passer leurs messages sur la toile : les personnes un tant soit peu sensibles à la psychanalyse ne pouvaient pas passer à côté de la rumeur.
Cependant, je pense ne pas être le seul lorsque je dis qu’il ne faut pas leur en vouloir ou leur en tenir rigueur. Après tout, ils défendent leur bout de viande, comme on dit, et nous savons bien que la meilleure des défenses est bien souvent l’attaque. Selon toute vraisemblance, il se sentent obligés d'attaquer, et ils le font avec leurs armes qui sont très limitées. J’irais même un peu plus en avant et affirmerais que, quelque part, ils nous ont rendu service. Nous : les personnes soucieuses du discours analytique. Quelques années auparavant, il ne leur a fallu que tendre un micro à certaines personnes se présentant elles-mêmes comme psychanalystes pour que celles-ci se piègent et se ridiculisent toutes seules. Concernant « l’affaire Dolto » les choses sont assez similaires : nous en apprenons finalement peu sur la réception de la psychanalyse par les personnes qui lui sont étrangères mais nous en apprenons davantage quant à la situation de la psychanalyse aujourd'hui, notamment en étant attentifs aux différentes attitudes adoptées autour de cette polémique par ses « institutions » et « représentants officiels ». Toutes les chasses aux sorcières possibles et imaginables n’y feront rien : notre pire ennemi est toujours intérieur. J'y reviendrai plus tard.
Nous regrettons seulement, un peu, d’avoir affaire à de malhonnêtes et parfois même malpolis détracteurs, mais rendons nous à l’evidence : nous ne choisissons pas toujours nos adversaires. Nous en profitons alors pour saluer Jung, Sartre, Deleuze, Foucault, Chomsky, Clouscard ... qui ont le mérite – même si certains d'entre eux sont aussi tombés parfois dans l'invective – de formuler de véritables critiques, bien plus étayées que ce type de basses accusations cherchant à provoquer l’émoi chez ceux qui cultivent leur ignorance. Les détracteurs contemporains de la psychanalyse nous donnent cependant ici une belle occasion, non pas de leur répondre, à eux, mais de répondre de notre place, à nous, que nous souhaitons la plus proche du discours analytique, tel qu'élaboré par Jacques Lacan. La seule réponse envisageable est celle qui consiste à nous mettre au travail et rendre ce travail public. C'est ce à quoi Sigmund Freud, Jacques Lacan, Françoise Dolto – pour ne citer qu'eux – se sont toujours attelés.
C'est pourquoi il nous est apparu comme judicieux de proposer une lecture des diverses formes qu'a prise, non pas l'attaque, mais bien la défense de Françoise Dolto suite à ces accusations, avant de commenter un des textes au sujet de l'inceste extrait d'une entrevue avec la psychanalyste dans les «Dialogues Québécois».
Quelles ont-été les principaux arguments prenant la défense de la psychanalyste ? Françoise Dolto a-t-elle réellement été défendue ?