- Rudy Goubet Bodart
- Oct 7, 2020
Que les mots se jouent des hommes et non l'inverse, voilà un enseignement de la philosophie hegelienne — elle-même héritière et continuatrice de la pensée socratique — que la psychanalyse reprend à son compte d'une façon renouvelée en ce qu'elle fait discours, et donc lien social, à partir de ce constat.
Il n'y aurait donc personne reclus dans une pièce sombre à l'écart et au-dessus de ce monde pour en définir ou redéfinir les règles et les lois puisque le langage, loin d'être un outil de communication parmi d'autres, est ce qui dicte leur loi aux hommes et au monde.
Il n'y aurait donc seulement que des notions — toujours les mêmes — qui se font la guerre, tentant de prendre le dessus les unes sur les autres, ainsi se fait l'Histoire, en se servant pour cela des passions des hommes ; l'ignorance étant la passion primordiale.
Il n'y a donc pas de complot, et encore moins de théorie de celui-ci, puisque que tout est fait et dit à la vue et au su de tous et de chacun. Il suffit pour s'en rendre compte de lire et d'entendre le disque oucourant qui emprunte largement de nos jours les voies médiatiques.
Comme la fameuse nouvelle d'Edgar Poe — La Lettre Volée — nous le dévoile finement : la manière la plus astucieuse de cacher est précisément de ne pas cacher mais bel et bien de montrer, de mettre en évidence, et même, pourquoi pas, d'exhiber.
La meilleure manière de comploter ne serait-elle pas alors de ne pas comploter mais de faire tout l'inverse ? C'est-à -dire de déclarer, affirmer, clamer, afficher « tout et son contraire ».
Mais si tout se dit, est-il encore pertinent de parler de (théorie du) complot ?
Il n'y a aucun complot et ceux qui utilisent le terme de « complotistes » pour en désigner et décrédibiliser certains ne prouvent à l'évidence rien à part le fait qu'ils aient réussi la prouesse d'annihiler toute possibilité d'émergence de la pensée en eux.
Notons aussi qu'il y a certainement, dans le fond fantasmatique, qui n'est autre que la surface même des mots, de toute « théorie du complot » quelque chose de plutôt rassurant : il y aurait des autres — et pourquoi pas l'Autre en personne — qui sauraient ce qu'ils font et surtout ce qu'ils disent.
Mais comme nous le montre à l'évidence les temps présents : ils ne savent pas ce qu'ils font, ils ne savent pas ce qu'ils disent : quelle horreur que de percevoir la béance immense dans le savoir de l'Autre : masquons vite cela ! Il y a des choses que nous ne saurions voir. Car bien sûr, nous avons des yeux pour ne point voir. Puisque si nous parlons c'est que fondamentalement nous ne voyons pas tout et surtout pas ce qui nous regarde. En définitif, seuls les (bons) mots nous permettent de voir.
Les masques sont tombés : rendons-les obligatoires sur notre bouche — pour ne point parler — et sur notre nez — pour ne point sentir — et fétichisons-les ! Accrochons-nous au dernier objet imaginaire avant cette chute inacceptable. Pour que l'Autre ne perde pas la face, sacrifions la nôtre.
Le fétichisme ne suffit pas. Ajoutons-lui le masochisme qui nous dit que plus nous nous privons, plus nous souffrons, plus nous endurons, plus nous nous punissons, plus nous nous soumettons, plus nous mériterons notre santé, d'être récompensés, de recevoir de l'amour en dose injectée, pour vivre « comme avant ». En réalité, nous savons qu'il n'y a aucune gloire à cette escalade douloureuse et à cette longue et interminable souffrance que nous nous infligeons mais quand même :
Promouvons le principe de précaution, prenons nos distances physiques avec ceux que nous aimons, envoyons masqués à l'école nos enfants, abandonnons nos aînés, acceptons cet illogisme qui veut que nous supprimions la vie pour mieux pouvoir la conserver, espérons que tous ces sacrifices aux dieux obscurs desquels nous portons le masque nous serons rendus en quintuple.
En vérité, qui aujourd'hui peut porter la contradiction à Lacan lorsqu'il affirmait que le capitalisme avant même d'être un paradigme économique — qui produira des crises de plus en plus extraordinaires pour renaître de ses cendres — est un discours, mais un discours particulier en ce qu'il ne fait pas lien social ?
Qu'il ne fasse pas lien social veut-il dire qu'il détruise tous les liens sociaux ? Lorsque les enfants, renommées « bombes infectieuses », sont, à l'école notamment, privés de tout l'imaginaire signifiant qu'offre la perception du visage de l'autre, lorsque les libéraux-libertaires hurlent au confinement, lorsque un « philosophe communiste et révolutionnaire » retraité et pantouflard méprise le peuple comme jamais, lorsque le petit tyran rentré en chacun de nous se manifeste à tous les coins de rue, lorsque les personnes âgées, dénommées maintenant « les plus fragiles », sont privées d'affection, de tendresse, d'amour de la part de leurs enfants et petits-enfants, et réciproquement, lorsque les membres d'une même famille sont maintenus dispersés pendant des mois sans savoir quand ils vont se retrouver, lorsque dès la naissance de son enfant le père ne doit plus s'en approcher et que la mère doit porter un masque pendant qu'elle le met au monde, lorsque l'aurevoir ultime à nos proches est annulé ... nous avons aujourd'hui une réponse claire à cette question, mais ne nous privons ni l'optimisme existentiel ni de l'espérance propre au sujet qui aime son Inconscient :
« C'est pas du tout que je vous dise que le discours capitaliste ce soit moche, c'est au contraire quelque chose de follement astucieux, hein ? De follement astucieux, mais voué à la crevaison. Enfin, c'est après tout ce qu'on a fait de plus astucieux comme discours. Ça n'en est pas moins voué à la crevaison. »
...
« L’analyse n’est pas une science, c’est un discours sans lequel le discours dit de la science n’est pas tenable par l’être qui y a accédé depuis plus de trois siècles ; d’ailleurs le discours de la science a des conséquences irrespirables pour ce qu’on appelle l’humanité.
L’analyse c’est le poumon artificiel grâce à quoi on essaie d’assurer ce qu’il faut trouver de jouissance dans le parler pour que l’histoire continue.
On ne s’en est pas encore aperçu et c’est heureux parce que dans l’état d’insuffisance et de confusion où sont les analystes le pouvoir politique aurait déjà mis la main dessus.
Pauvres analystes, ce qui leur aurait ôté toute chance d’être ce qu’ils doivent être : compensatoires ; en fait c’est un pari, c’est aussi un défi que j’ai soutenu, je le laisse livré aux plus extrêmes aléas.
Mais, dans tout ce que j’ai pu dire, quelques formules heureuses, peut-être, surnageront, tout est livré dans l’être humain, à la fortune.»
Jacques Lacan
- Rudy Goubet Bodart
- Oct 7, 2020
« Pour moi la seule science vraie, sérieuse, à suivre, c'est la science-fiction » — Jacques Lacan
Elon Musk veut produire un dispositif informatique sur lequel serait directement connecté notre cerveau, et ainsi connecter ensemble tous les autres cerveaux également reliés à ce même dispositif : Neuralink.
Cela n'est pas une utopie puisque nous savons que déjà avant qu'il ne meurt Stephen Hawking devait simplement penser à faire bouger son fauteuil roulant pour que celui-ci entre en mouvement.
Cela est bien entendu motivé, comme toujours, par des desseins philantrophiques, voire messianiques, puisque le but serait de rendre la vue aux aveugles, l'usage de leur jambes aux paralysés, soigner la dépression, supprimer la peur ...
L'étape suivante est bien entendu de pouvoir partager « directement » nos expériences avec les autres : nous pensons à quelque chose et les autres peuvent y participer.
Ainsi nous pourrions par exemple enregistrer et stocker nos expériences sexuelles pour pouvoir en profiter ultérieurement encore une ou plusieurs fois, et même, pourquoi pas, les partager avec nos amis, si nous ne sommes pas trop timides.
Il y a bien entendu plusieurs remarques à faire ici :
Comment nos pensées pourraient-elles être directement partagées sans la médiation du langage ?
Il n'existe pas de pensée hors langage. Au moment où nous pensons nous le faisons avec les mots. Le mot n'est pas un obstacle que nous pourrions contourner pour atteindre la « pensée pure ».
D'une façon générale, nous pourrions dire qu'il conviendrait toujours de se méfier lorsque nous percevons un élément comme faisant ou étant un obstacle à une supposée perfection ou pureté, puisque c'est toujours de l'obstacle lui-même que l'idée de perfection ou du pureté prend sa genèse.
Le langage est bien sûr un « médiateur insatisfaisant » comme nous pouvons le constater lorsque nous disons à la personne que nous aimons « Je t'aime » cela nous apparaît bien souvent comme une phrase insipide loin de nos sensations, de notre « richesse intérieure » et que des millions de personnes usent quotidiennement. Cela dit, il ne faudrait jamais tomber dans l'illusion qu'un jour nous pourrions nous passer de cette banale formulation pour avoir un accès direct à nos sensations.
Nous ne communiquons jamais directement. Il y a toujours eu du langage, puis l'écriture, puis Internet ... Le progrès technique ne fait paradoxalement qu'ajouter des couches et produit plus d'intermédiaire.
Au sujet de l'obstacle du langage, nous pourrions imaginer l'exemple d'un homme qui déclare sa flamme à la femme qu'il aime : il bafouille, bien qu'il se soit préparé de longues heures.
N'y-a-t-il pas dans ce bafouillage — qui pourrait être lu comme une forme ratée — c'est-à -dire dans l'impossibilité de transmettre un message où la communication échoue donc, quelque chose du « grain de sable de l'énonciation » qui se manifeste sous cette forme même de ratage ? Dans l'impossibilité même du langage à s'égaler lui-même, à se boucler, le Réel du signifiant (signifiance) apparaît — Le signifiant ne pouvant se signifier lui-même.
L'obstacle inhérent, intrinsèque au langage lui-même à pouvoir communiquer ou transmettre un message en dit toujours à la fois plus et moins que le message qu'il voulait communiquer — comme en témoignent l'oubli, le lapsus ...
Pourquoi à la fois moins et plus ? Moins (-) puisque le message lui-même dans son contenu est diminué et n'est pas fidèle à ce que le sujet voulait dire. Nous pourrions dire que du point de vue de l'énoncé, du contenu du message, il y a eu réduction, un retranchement, et pourquoi pas un échec. Plus (+) aussi dans le sens d'un excès, voire d'un excédent au niveau-même de l'énonciation qui vient se «sur-ajouter» à l'énoncé, le dépasse, et faire dire au sujet plus que son « simple » dit ne lui aurait permis. Cela précisément parce que le dire (énonciation) se présente sous forme d'un obstacle au dit (énoncé), et même comme une impossibilité à dire — Impossible de dire sans se contredire.
Cet obstacle est « le grain de sable de l'énonciation » et démontre que le langage n'a pas seulement pour fonction de transmettre un message (communication) puisque avant même de signifier quelque chose le langage signifie pour quelqu'un (primauté du signifiant). Il s'agit de sa puissance évocatrice et de sa fonction symbolique. Autrement dit, dans l'exemple susmentionné, c'est seulement par le ratage, soit ici dans le bafouillage ou la maladresse, que quelque chose d'un « amour authentique » peut se transmettre, se manifester. Il serait en effet tout à fait étrange si cet homme était capable de prononcer sereinement et calmement une déclaration d'amour parfaite.
Lorsque nous voulons dire quelque chose et que nous échouons c'est paradoxalement dans cet échec même que nous réussissons — un acte manqué pour la conscience est un acte réussi pour l'Inconscient.
Ce qui est problématique avec Neuralink ce n'est pas tant la possibilité de partager nos sensations alors décryptées par le dispositif informatique mais plutôt l'inverse : est-ce qu'il est possible de recevoir des ordres de ce dispositif ? Et serions-nous conscients de recevoir ces ordres ?
Les expérimentations faites sur les rats — dont les mouvements basiques sont désormais contrôlables à distance par la « pensée » humaine, ou plutôt son reliquat neurologique — suggèrent que si cela se transposait à l'homme, celui-ci ne le saurait pas, c'est-à -dire qu'il ne serait pas conscient de recevoir des ordres et vivrait ses choix comme étant le produit de son « libre arbitre ».
Bien qu'une certaine philosophie, dont la psychanalyse s'est faite l'héritière originale, ait déjà battu en brèche, il y a déjà des siecles, l'idée d'un « libre arbitre » n'y aurait-il pas avec cette invention, Neuralink, l'impossibilité même du mouvement spinozien faisant de la liberté l'intellection de la nécessité ?
Toute libération présupposant une réconciliation avec notre aliénation, comment, avec un tel dispositif, pourrait-on éprouver nos (sur) déterminations ? Comment se libérer d'une prison sans savoir où sont les barreaux ?
« Nul n'est plus esclave que celui qui se croit libre »
Johann Wolfgang von Gœthe
- Rudy Goubet Bodart
- May 13, 2020
Françoise Dolto rentre chez elle après une journée de consultations et aperçoit ses trois jeunes enfants en train de prendre un bain ensemble.
Sa fille tire sur le pénis d'un de ses frères en hurlant : « C'est à moi ! C'est à moi ! »
Sa mère intervient :
~ Voyons ! Cesse donc tes bêtises ... Tu en auras un plus tard ... enfin, seulement si tu es sage.
~ Mais si je ne suis pas sage alors ... ?
~ Oh ! Et bien dans ce cas tu en auras plusieurs !
