- Rudy Goubet Bodart
- Nov 14, 2020
À partir d'une lecture de Françoise Dolto, voici une note aux parents qui ne comprennent pas pourquoi leur fils (âgé de trois ans ou plus) se retrouve dans le lit conjugal chaque nuit :
Quand le père nomme «maman» sa femme lorsqu'il s'adresse à son fils, il se place, dans la structure langagière, en tant que frère de son fils et donc fils de sa femme. Dans cet énoncé, et la place du père et celle du mari (époux, homme... ) ne se distinguent pas.
Quand il lui dit «ta mère» et même «ta maman», pourquoi pas, il met en évidence le lien de parenté entre le fils et la mère, sans pour autant spécifier la place du père et celle de l'époux. En effet, presque n'importe qui d'autre que le père peut s'adresser à l'enfant en disant «ta mère».
Quand le père dit à l'enfant «ma femme» il met en évidence, pour son fils, le lien amoureux hétérosexuel qui existe entre ses parents, qui ne sont donc pas que des parents mais aussi un homme et une femme qui éprouvent du désir, de l'amour l'un pour l'autre. Donc pour le fils, le père se dévine comme étant l'homme qui désire et aime sa mère et réciproquement (l'homme que sa mère aime et désire).
Le père peut aussi faire remarquer à son fils que lui ne dort pas avec sa mère (la grand-mère de son fils) et qu'il a choisi une femme en dehors de sa famille (ni sa sœur, ni sa cousine, ni sa tante...) pour passer ses nuits avec, ce qui sera aussi le cas de son fils dans quelques années.
Quant au désir de la mère, il doit aller dans le sens de la prise d'autonomie de ses enfants. Et elle doit donc aider son fils à se passer d'elle, notamment pour pouvoir dormir.
Bien entendu, se retrouvent chez le psychanalyste un tas d'histoires similaires où l'enfant a déjà allègrement dépassé les trois ans mais par exemple se réveille chaque nuit pour se retrouver dans le lit des parents, n'accepte pas que la mère se douche ou aille aux toilettes sans lui et la seule possibilité de séparation se fait par de l'agressivité envers sa mère et réciproquement.
Il s'agit donc de mères épuisées qui consultent et cela est la tâche quotidienne du psychanalyste qui travaille avec des enfants et des parents que de produire du père et non pas se substituer aux parents, ou au père, des enfants qu'il reçoit. Car c'est toujours aux parents, et en aucun cas au psychanalyste ou autres professionnels, de donner la «castration symboligène» aux enfants.

- Rudy Goubet Bodart
- Nov 8, 2020
Le résultat et l'ensemble du processus électoral du président de l'Occident semblent nous avoir offert, au moins sur les réseaux sociaux, un véritable spectacle, un authentique concentré sous forme de florilège du déversement de cette indignation bon marché, programmée, télé-programmée, commandée, télé-commandée qui a scandé les quatre années du mandat du désormais futur ancien président — si cela se confirme en Janvier.
Ces derniers jours ont été un magnifique condensé de la part des mutins de Panurge qui, ces dernières années, nous avaient déjà habitués à publier sur leurs réseaux sociaux diverses moqueries envers la caricature ambulante qu'est cet homme, mais aussi à activement le haïr, à adorer le détester, à épier hystériquement ses mots, ses faits et gestes pour le critiquer hargneusement, à jubiler même lorsqu'il était tombé malade. Les petits soldats de l'Empire du Bien, aujourd'hui, se félicitent, s'auto-congratulent que ce gros méchant, qui incarne, pour eux, le Mal Absolu, ait perdu. C'est comme s'il s'agissait de leur victoire, à eux. Ils se foutaient bien même de la victoire de l'opposant, l'important était que lui, le vilain, perde. Tel était leur souhait, tel est leur horizon.
Toutes ces belles âmes vertueuses défendant La Bonne Cause n'ont jamais su percevoir que sur le visage de leur héros négatif c'est bel et bien leur propre laideur qui se reflète.
Rien n'en dit autant sur le caractère de quelqu'un que ce de quoi, et la façon avec laquelle, il se moque.
Tu es ce que tu hais.
Que combattent-ils, ces bisounours de la résistance, lorsqu'ils s'en prennent à lui, si ce n'est leurs propres tentations inavouées, inassumées ? Sinon, pourquoi occuperait-il une telle importance dans leur économie psychique ? Pourquoi son image les mettrait-ils dans une telle extase ?
Ils le détestent. On ne saurait en douter. Mais ils aiment par-dessus tout l'état passionné dans lequel les place cette détestation qui les fait palpiter et ainsi leur procure un semblant de substance ontologique qui masque, dans ce même mouvement palpitant, le chaos qu'est leur existence immaculée.
Ils ne saisissent toujours pas la logique qui consiste à recevoir de l'Autre son propre message sous sa forme inversée, et comment leur jouissance obscène, leur haine dans laquelle ils logent la part la plus haute et la plus belle de leur identité, ont pu, un jour de Novembre 2016, faire le trajet du retour à l'envoyeur, comme on parle d'un retour de bâton.
L'anti-trumpisme est donc tout sauf une pensée mais est bel et bien une passion, leur passion fondamentale, alors que l'a-trumpisme, salubre lui, leur est tout bonnement hors d'atteinte.
Ils ne s'en remettraient probablement jamais si un jour ils réalisaient à quel point ils ont été les contributeurs principaux dans le succès de leur épouvantail fétichisé.
Désormais, nous pouvons faire semblant de nous demander sur quel nouvel objet leur haine va pouvoir se reporter ... L'Empire s'empire.
- Rudy Goubet Bodart
- Oct 16, 2020
Il y a dans le court téléfilm « Coincoin et les Zinhumains » de Bruno Dumont un ensemble d'éléments analogues à la situation actuelle qui apparaît presque comme ayant pu la préfigurer.
Une étrange matière noirâtre et gluante qui tombe du ciel et rend malades les hommes avec qui elle entre en contact en les faisant se dédoubler (en accouchant d'eux-mêmes).
Quelle serait, en réalité, la pire — mais peut-être aussi bien la meilleure — des choses qui pourrait nous arriver si ce n'est de rencontrer notre double, un peu comme nous rencontrions notre prochain ? Un masque serait-il alors nécessaire pour empêcher la honte de nous submerger ?
Notre prochain en tant que ce qui est à la fois le plus proche de nous, cette chose de laquelle nous n'arrivons pas à nous départir, mais aussi cette chose si éloignée de nous, qui nous apparaît comme étant la plus étrangère à nous-même.
Cette substance, ce bout de réel venu d'on ne sait où, semble alors être un excellent révélateur de la société et de son (in)organisation.
Les journalistes, les religieux, les politiciens, les scientifiques, les terroristes, les forces de l'ordre, les migrants ... tous y passent dans ce téléfilm et tous semblent jouer très maladroitement le rôle qui est le leur, ou pour le moins le jouent d'une façon si grossière, si absurde, voire burlesque et comique que le spectateur ne peut pas ne pas y voir une critique de la société de la part du réalisateur, mais plus encore, une fine dénonciation de la détérioration de la notion même d'autorité en ce qu'elle relève des ressorts du Symbolique, comme le montrent certains dialogues quasi beckettiens qui ne peuvent pas ne pas nous faire songer à la situation présente :
— Qu'est-ce qu'on fait mon commandant ?
— Moi j'vous l'dis Carpentier : « Ni une ni deux ! »
— Oui, et alors ?
— Bah c'est tout.
Tout semble se passer comme dans un carnaval — qui est en soi déjà une négation des règles normales et usuelles de la société — mais un carnaval quotidien où chacun jouerait très mal son propre personnage social et où seule une négation supplémentaire pourrait possiblement mettre fin à cette fin du monde qui s'éternise.
Le téléfilm se termine d'ailleurs par un immense « tournage en rond » carnavalesque où se réunit tout ce beau monde et où le Symbolique semble avoir été anéanti puisque les vivants y côtoient les morts.
Le « tournage en rond » est d'ailleurs une image possible de la révolution, mais ce que Bruno Dumont n'a pas réellement intégré dans sa réalisation est un retour possible d'un ordre féroce, d'un ordre forcé, d'un ordre dicté, bien que cette idée semble lui avoir traversé l'esprit.
